De si jolies Halles à Paris .. dans les années 60

Publicité en 1977.
Un jardin à la française et aucun bâtiment de surface.
Dans les années 60 les parisiens ont échappé au pire: des bâtiments monstrueux  à la place des halles Baltard.
Le projet finalement réalisé était "honnête": un jardin , des "parapluies" signés Willerval  et un forum commercial.
L'élément le plus structurant ne se voyait pas en surface: la gare RER qui réalisait enfin la pénétration des voies de banlieue dans le coeur de Paris.
Tout cela fut terminé dans les années 80.
30 ans après on casse tout car le " quartier doit être restructuré et modernisé du fait de sa fort fréquentation, du vieillissement de ses structures ainsi que de l'évolution des normes de sécurité" .
Motivations bien  faibles pour une si forte dépense; je soupçonne personnellement que le succès du centre commercial   à tout simplement amener ses promoteurs à vouloir l'agrandir au détriment de la voirie souterraine. 
Ce premier article parle du difficile comblement du "trou des halles"
D'autre articles sont consacrés aux Halles en 1900, en 1950, au nouveau projet et à son coût

Naissance d'un projet dans les années 60


Le projet Faugeron en 65. En regardant bien, devant à droite, vous apercevrez St Eustache.
 Ce style de tour était caractéristique de Faugeron qui propose la même année une tour de 200 m pour le ministère de l'éducation nationale sur l'emplacement de la prison de la Santé.

Dans les premiers projets le secteur "à rénover" est très étendu. On prévoit une nef culturelle qui comprend un théâtre lyrique populaire de 1500 places
Le projet Charpentier, plus "raisonnable"
Le projet Faugeron du concours de 67 
Le projet Marot ( remarquer la traversée du Boulevard Sebastopol commune à tous les projets)
Le projet Bofill : Trois bâtiments monumentaux forment un U 
La proposition du collège des architectes.: Bofill, La Tour d'Auvergne,  Aillaud
Le trou des Halles, cadre du film "touche pas à la femme blanche "de Ferreri 
La fontaine des Innocents suspendue 
Le trou commence à se combler 
Dans les avants projets il y avait une liaison souterraine avec Beaubourg. 
Coupe du forum Est.
A droite la porte Lescot. Notez à gauche le passage du métro ligne 4  et d'une 2 fois 2 voies  Nord-Sud
Les parapluies de Willerval. Ils vont malheureusement abriter de plus en plus de choses diverses au fur et à mesure de l'évolution du projet.
Les halles Baltard par Marville

Paris avait toujours été une ville "close" contenant l'intégralité de ses équipements.
Les halles avait toujours été au centre de Paris depuis le moyen age, mais Paris contenait aussi  ses abattoirs, ses réservoirs d'eau, son métro.

Lorsque l'on avait voulu construire un métro il ne fallait surtout pas qu'il communique avec la banlieue. Les édiles parisiens avait sous les yeux l'exemple de Londres ou le métro avait entraîné un exode vers la banlieue ( ce qui aurait entraîné à l'époque une perte des recettes d'octroi). Le métro fut conçu de façon à être incompatible avec les chemins de fer de banlieue. On alla même jusqu'à éviter de construire des stations de métro près de celles du chemin de fer de ceinture.  Paris avait donc un métro dense alors que la banlieue était très mal desservie par les transports ferroviaires

Dans les années 60 Paris devait enfin "exporter" certains de ses équipements et mieux communiquer avec sa banlieue: les Halles devait aller en banlieue et on devait  créer un RER qui atteindrait le cœur de Paris.

Le bâti environnant les halles était en piteux état et du coté du plateau Beaubourg on avait démolit un "îlot insalubre" sans rien reconstruire.
Ceci "libérait" non seulement  les pavillons  Baltard  mais aussi ses environs; on s'ingénia alors  à élaborer des projets pharaoniques pour la rive droite.
 Ce fut d'abord le projet Lopez et Rotival qui raisonnait sur 450 hectares dans le triangle formé par la Seine, la rue Lafayette et le Boulevard de la Chapelle. Il fallait rééquilibrer Paris vers L'Est et créer un quartier d'affaires autour des Gares du Nord et de l'Est avec une voirie souterraine. C'est 170 000 personnes qui seraient déplacées.
Au passage les Halles Baltard seraient détruites et on contruirait:
  • zone A (carreaux des Halles) 145 000 m² de locaux commerciaux et bureaux 300 logements, hotels parking 5000 places,
  • zone B  (Beaubourg ) 700 logements, centre commercial 1000 places de parking,
  • entre A et B 3 hectares d'espace vert.
Le projet fit un beau tollé, c'est "Los Angeles sur Seine", un projet "qui conviendrait mieux à un quartier de la lune"

L'administration, qui avait commandé ces études, éloigna l'orage qui menaçait en dégageant sa responsabilité par la création de la SEAH ( Socièté d'études pour l'aménagement des Halles) en Septembre 1964.
Le périmètre d'intervention est limité aux seules zones A et B dans lesquelles on veut implanter soit un "centre français du commerce international (CFCI)" - idée qui ressortira dans bien d'autres projets - ou le ministère des finances - à l'étroit dans son aile du Louvre- .
Il y a seulement deux points d'accord sur le futur projet:
  • La création de la gare du RER, 
  • La voirie automobile souterraine.
L'idée du déménagement du ministère est repoussée par le conseil municipal mais celle  du CFCI est retenue.
Un concours est lancé en 1967 auquel participe 6 architectes sur un périmètre de 32 hectares avec  une limite de hauteur des bâtiments de 27 mètres mais un programme fort chargé comprenant des équipements culturels.
Les 6 projets tentent désespérément de caser le programme dans une accumulation d'immeubles "modernes"
Il est temps de mieux réfléchir sur le programme et l'on créé la commission Capitant aidée par L'APUR ( l'atelier d'urbanisme parisien)
On pense alors à un centre commercial souterrain sur un périmètre réduit à 12 hectares pour les halles et 6 pour Beaubourg. La SEMAH ( société d'économie mixte d'aménagement des halles) est créée en 1969.
En attendant le conseil de Paris autorise des activités provisoires dans les halles Baltard abandonnées par le marché en 1969. Ce sursis va donner des ailes aux défenseurs des pavillons.
Pendant ce temps là le creusement du RER avance, il faut décider. En Juillet 71 la destruction est actée.
Du coté de Beaubourg c'est le président Pompidou qui décide de créer un Centre national d'art contemporain en remplacement du Musée d'art moderne du palais de Tokyo, il choisit le projet Piano-Rogers.
En 74 le programme est:
  • A l'Est le CNAC et des immeubles sur le quartier de l'horloge ( 96 000m²)
  • Un souterrain sous le Bd Sebastopol
  • A l'Ouest le forum (40 000m²) , la gare RER, Le CFCI (90 000m²), logements ( 18000m²), hotel (45 000m²), hotel des ventes( 25 000m²), centre commercial en surface (10 0000m²).
On voit donc la timide apparition du Forum avec une surface bien faible.
Le nouveau président de la république, Valery Giscard D'estaing, est moins "moderne" que son prédécesseur. Il va arrêter la construction de la voie sur berge rive gauche et la pénétrante Montparnasse et vouloir un projet des Halles plus modeste.
Le permis de construire du CFCI -qui avait été annulé par l'action d'une petite association-  l'est définitivement. Quant aux  antiquaires ils s'installeront dans l'ancien magasin du Louvre.
Le président retient Bofill pour architecte. Celui ci propose un bâtiment qui forme un U sur le jardin avec pas mal de colonnes à son habitude. Le conseil de Paris n'est pas content de voir ce projet monumental lui être imposé.
Le centre Pompidou est inauguré en Janvier 1977. En "dessous", en Septembre 77,  la station RER est inaugurée suivie en 1978 par la voirie souterraine  alors que rien n'est réglé pour le reste.
Trois projets vont d'abord s'affronter: Bofill, la Tour d'Auvergne et Jean Claude Bernard.
Le public plébiscite le projet Jean Claude Bernard qui dégage Saint Eustache.
Curieusement la SEMAH choisit de faire travailler 3 architectes aux vues opposées: Bofill, la Tour D'Auvergne et Emile Aillaud comme coordonnateur. Ce dernier ne veut pas du forum "oppressif circuit souterrain".
La Ville de Paris retrouve un maire dont le poste avait été supprimé en  1871: Jacques Chirac. Le nouveau maire  est hostile au projet Bofill; pour éviter un conflit le président décide de recentrer son action sur la Cité des Sciences de la Villette et de laisser les mains libres à la municipalité.
Ceci entraîne un nouvel allègement de programme par la suppression de l'auditorium que l’état devait financer.
En 1979 Le nouveau programme est bouclé. Il n'y a plus d'immeubles Bofill (on démolira ce qui est déjà réalisé) . Louis Arretche et l'APUR sont chargés des jardins. Il y aura un hôtel rue Berger. Un souterrain pour piétons reliera les Halles à Beaubourg.
 En 1979 le  Forum et le quartier de l'horloge  sont inaugurés. On présente au public le projet des parapluies de Jacques Willerval, c'est l’élément le plus original du projet et il est assez mal accueilli.
En 1979 aussi, Jack Lang tente une dernière remise en cause  en  organisant un nouveau concours dont le résultat sera des plus décevant.  En 1981, le même revient à la charge avec cette fois ci l'autorité d'un ministre de la culture mais il est trop tard pour modifier les choses
Il reste pas mal d'inconnues vers la bourse du commerce sur 100 000m2 en souterrain . On a forcé la main aux PTT pour qu'ils prennent 18000 m² pour un central téléphonique que l'évolution de la technique rend complètement inutile.  RTL renonce à installer un studio dans l'espace, un projet de 14000 m² d'aquarium - avec dauphins et requins- succombe à la pression du WWF.
De leur coté les parapluies de Willerval sont surchargés par des changements de programme qui accumulent dans leurs structures commerces et équipements: les parapluies sont de moins en moins aériens et de plus en plus encombrés alors que le sous sol Ouest est en manque de programme.
Chemetov concevra la partie Ouest du forum. Les deux plus grands locataires: le centre Cousteau et l'annexe du musée Grevin fermeront rapidement, mais le succès du centre commercial est tel que les surfaces sont facilement réoccupées  essentiellement par le plus grand multisalles d'alors: Cité Ciné le Halles
Le plan "avant"
Le plan du projet définitif. La volonté de dégager
St Eustache a fini par créer une diagonale
dans le jardin avec un amphithéâtre.

Le Projet réalisé et les regrets

Projet de RER dans les années 50.
Le pont en X d'Henard supprimant le hiatus avec la rue de Rennes 
Les serres invisibles
Une pergola Lalanne. La difficulté est aussi de camoufler les tours d’aération  La proposition d'origine était de les habiller en ruine de colonne grecque
Les parapluies auraient été élancés si on n'y avait rajouté des structures qui les enserrent.
Croquis récent avec le nom des portes montrant ( avec une certaine mauvaise foi) les parties inaccessibles du jardin en rouge.
Porte du Louvre 
"On a évité le pire aux Halles" est l'opinion courante à la clôture de l'opération en 1988.

La réussite la plus évidente est la gare du RER: le centre de Paris est enfin relié à sa banlieue.
On peut regretter que ce nœud ne concerne pas la gare Montparnasse.
Tous les projet d'après guerre incluaient le raccordement à Montparnasse mais malheureusement dans les années 60 la mode est à la voiture  et pas encore aux transports en commun. La nouvelle gare Montparnasse s'achève en 69 avec une tour pour faire moderne mais sans qu'on ait pensé à la dotée d'une gare de banlieue souterraine. On se contentera de désenclaver Montparnasse en fusionnant les lignes 13 ( St Lazare Pont de Clichy, St Ouen) et 14 ( portes de Vanves Invalides) ce qui créera une nouvelle ligne 13  archi saturée.
Il reste aujourd'hui dans les cartons une ligne F du RER qui relierait Montparnasse-Invalides-St Lazare.
La gare Chatelet-les Halles a été prévue "large" mais pas encore assez pour le succès fulgurant du RER. C'est une gare de passage qui n'a pas de quais d'évitement permettant de traiter les incidents.

Un regret concerne l'absence de liaison piétonne souterraine entre le plateau Beaubourg et les Halles. Cette liaison était en surface dans les premiers projets,  puisque les immeubles du Bd Sebastopol devaient être détruits, et a carrément été oubliée ensuite. Il suffit pourtant de voir le trafic de l'escalator "direct" de la porte Lescot pour constater le besoin.


La voirie automobile souterraine a été peu fréquentée . L'idée du projet était de renforcer l'axe Nord Sud . En ce sens les trémies Berger et Coquillére n'étaient guère utiles.
L'axe Nord Sud butait sur la Seine ( sur la rue de Rivoli ou sur le pont neuf ).  Henard au début du XXéme siécle proposait de prolonger la rue de Rennes avec un  pont en X au delà du Vert Galant. Ce projet qui ferait bondir n'importe quel parisien aujourd'hui pointait du doigt un gros manque dans les percées Hausmaniennes. Une voirie souterraine utile aurait traversé la Seine pour rejoindre la rue de Rennes, elle faisait d'ailleurs partie des projets de la municipalité juste avant la guerre.


Le jardin était peu "lisible". L'ajout d'une diagonale rue des Halles St Eustache butait sur les immeubles du coté de la rue Berger. 
Les serres enterrées étaient potentiellement une bonne idée si elles n'étaient si peu visibles.
Pour les voir d'en bas il fallait aller dans la partie la moins fréquentée du forum( ou aller à la piscine). D'en haut il fallait trouver l'étroite  passerelle qui les survolait.
L'"architecture végétale" de Louis Lalanne faite de treillage métallique sur lesquels auraient du s'accrocher des végétaux me semblait plus encombrante que décorative. J'ai toujours trouvé que l'épaisseur des profilés était insuffisante et condamnait à terme l'ensemble pour cause de rouille.
C'est un problème d’exécution qui fut aussi un des défaut des parapluies de Willerval. Si neufs ils pouvaient faire illusion, la rouille et les problèmes d'étanchéité leur ont rapidement donné triste mine.
L'idée des parapluies était originale. Pour que leur vue soit agréable il aurait fallu qu'ils abritent le moins de choses possible. Le contraire s'est produit,: on les a bourré de commerces et d'équipements. Les commerces des niveaux supérieurs ont été rapidement désertés, les équipements étaient à l'étroit.

Le forum a deux parties bien distinctes.
L'Est, construit en premier, avec l'idée d'un patio par Vasconi et Pencreach sou la houlette de la SERETE.
La partie Ouest, objet de multiples débats, confiée à Chemetov qui créa une cathédrale souterraine.
L'Est manque un peu d'ampleur et de hauteur sous plafond. L'idée du patio central était excellente mais la communication avec le jardin à L'Ouest est inexistante. La rue des cinémas prévue à l'origine va disparaitre au profit de commerces quand Ciné Cités ouvrira. L'escalator "direct" de la porte Lescot  qui permet de remonter du niveau -3 est sinistre malgré tous ses aménagements successifs.
La porte Lescot est la plus fréquentée. C'était aussi la plus ventée . La porte Berger aboutissait dans une pergola qui aurait pu être agréable avec un peu d'entretien. La porte Rambuteau était peu fréquentée.

La communication avec la partie Ouest est très basse de plafond car le métro et la voirie souterraine passaient au dessus.

La cathédrale de Chemetov est réussie mais il n'en est pas de même du centre commercial Ouest. Les circulations trop basses  ont été rénovées avec des plafonds un peu plus haut en  dalles lumineuses.
La piscine semble un équipement un peu incongru en cet endroit. Pour y avoir nagé quelquefois je trouve que l'ambiance y est bizarre, comme si chaque nageur souhaitait montrer sa force. A l'origine des baies donnaient sur la serre et sur la circulation.
Ciné Cités s'est merveilleusement adapté à l'espace laissé libre par Cousteau et le musée Grévin: on jugerait qu'il a été conçu pour lui.

La porte du Louvre est la plus réussie, à mon avis, sur le plan architectural, c'est malheureusement un désert ce qui la rend désagréable.
La porte St Eustache avec ses cascades à sec depuis longtemps pour cause de mauvaise exécution est typique de l'architecture des années 70. La porte du jour est très quelconque.
La porte du pont neuf avait sa pergola, comme la porte Berger.
...
Voyez la suite dans l'article  qui traite aussi du nouveau projet.

Les projets anciens des Halles 

Projet d'Henard pour le centre de Paris.
Notez le pont en X sur la Seine
Le projet Bourdeix avec un parking sur le toit.
  • 1904. Eugéne Henard, dans ses études sur la transformation de Paris, propose une voie Est-Ouest doublant la rue de Rivoli  qui longe les Halles au Nord et traverse le Palais Royal
  • 1910. Disparition de rues médiévales ( Pirouette, Mondétour, Petite et grande Truanderie) au profit d'une voirie élargie.
  • 1916. Henri Sellier - Sénateur et président des HBM de la Seine - propose le déménagement des Halles sur les fortifications
  • 1919. Un concours pour l'aménagement et l'extension de Paris est organisé. Cinq projets sont retenus avec un premier prix à Léon Jaussely. Les candidats proposent pour la plupart de déplacer les Halles à la périphérie ou en banlieue. 
  • 1925 Le Corbusier propose avec le plan Voisin de raser le centre de Paris pour y construire des tours.
  • 1926 Esquisse de concours  pour l'extension des Halles 
  • 1928 Pierre Bourdeix propose un projet de reconstruction des Halles avec deux niveaux de vente et un parking de 5000 voitures en toiture. 
  • 1929 On prévoit la démolition  de l'îlot insalubre  n°1 (St Merri, plateau Beaubourg) et Maurice Rotival propose un projet pour les Halles et Beaubourg
  • 1930 Le projet Bourdeix-Dufrenne est discuté au conseil municipal, il s'agit de construire le projet de 1928 gratuitement pour la ville en prenant à bail les Halles pour 50 ans. Le projet est rejeté: on construira plutôt les pavillons 1 et 2 prévus au plan Baltard.
  • 1932-1936 destruction de l'ilot n°1 et construction des pavillons 1 et 2  à l'Ouest autour de la bourse de commerce. 
  • 1937-1942 Projets divers de déménagement à la Villette ou à la Halle aux Vins  (en empiétant éventuellement sur la ménagerie du Jardin des Plantes qui irait à Vincennes). Georges Pillement écrit en 1941: "si grâce à l'autorité du maréchal Pétain la cité des  Halles était créée à la Halle aux Vins, Paris reconnaissant devrait lui élever une statue -équestre évidemment- en face de St Eustache" 

Sites et références