Histoire des bâtiments de la Samaritaine

Les modestes débuts de la Samaritaine en 1869
La Samaritaine fut fermée en 2005 sous le faible prétexte de sécurité. Ce fut la suppression de 2000 emplois sans que personne ne s'émeuve vraiment.
La Samaritaine était constituée de 4 magasins:
  • Le magasin 1 à la pointe de la rue du Pont Neuf et de l'arbre sec,
  • La magasin 2 entre le Seine et la rue Baillet avec  deux ensembles accolés: l'immeuble Sauvage des années 30 coté Seine et plus au Nord  l'immeuble Jourdain construit  vers 1905 , 
  • Le magasin 3  entre la rue de Rivoli et le rue Boucher oeuvre de Sauvage en 1930,
  • Le magasin 4  entre la  rue de Rivoli et la rue Baillet, opération inachevée de  1932
Il existe un très bon article de Wikipedia sur le magasin, le présent article en est un complément et présente plus complètement le projet de rénovation

Les débuts et la méthode d'expansion des magasins


Vu du ciel les magasins 1, 3 et la partie Sud du magasin 2 ( Jourdain + Sauvage) sont "achevés".
La partie Nord du magasin 2 et le magasin 4 sont formés d'immeubles  "restructurés"
Ernest Cognacq et son épouse Louise Jay débutèrent modestement  en 1869 3 rue du Pont Neuf. Ils finissent par posséder tout l'immeuble  à l'intersection de la rue de la monnaie et la rue du Pont Neuf : ce sera le magasin n°1.

Tous les immeubles de la Samaritaine vont se construire par phases au fur et à mesure de l'expansion car il s'agit d'assurer la continuité de la vente. A chaque achat d' immeuble d'un îlot, on le reprend en sous oeuvre pour transformer les caves en surface de vente ou en réserves, on régularise les planchers ( en les mettant au même niveau) et on perce les murs de séparation..
Nb : La méthode fut utilisée récemment, sur une échelle modeste,  pour  les magasins Tati  de Barbès
Dans un second temps, quand l’îlot est entièrement acquis, on reconstruit avec une structure métallique tout en maintenant quelques niveaux à la vente  La rapidité d'exécution de la construction est remarquable (de 6 mois à 2 ans).

L'immeuble Jourdain

Vu de la Seine vers 1920 la Samaritaine a envahi les immeubles du quai et on voit derrière une tourelle de l'immeuble Jourdain
L'immeuble Jourdain en 1925 visible de la Seine car on est en train de démolir les maisons du quai pour faire place à l'immeuble Sauvage 
C'est aujourd'hui  la partie centrale du magasin 2
Le bâtiment Jourdain donnait sur une rue disparue: la rue des prêtres St Germain. Il avait deux tourelles: une rue du Pont Neuf et l'autre rue de l'Arbre Sec.
En 1904 le permis fut refusé car le bâtiment projeté était trop haut mais le ministre de l'intérieur de l'époque, "le petit père Combes", l'autorisera par "tolérance".
La construction s'étendit de 1905 à 1910 en 6 phases successives  absorbant une voie publique: l'impasse des provençaux.
Le hall est élevé sur le terrain d'une école de la ville de Paris qui fut reconstruite de l'autre coté de la rue de l'arbre sec.
Le magasin 1 recevra après 1910 une façade sur la rue de Rivoli  identique à celle du magasin 2.
Etat d'origine du hall Jourdain

L'immeuble Sauvage

Le projet Jourdain refusé Le projet Sauvage.
Notez  qu'il ne s'agit que d'un ré-habillage du projet Jourdain avec une disposition de l'auvent différente de celle réalisée
L'immeuble Sauvage 
En 1925 Jourdain a 78 ans et ses plans pour un bâtiment de fer en front de Seine qui supprime la rue des Prêtres St Germain sont refusés.
Il fait appel à Henri Sauvage , son ami, qui propose un bâtiment de structure métallique mais avec un habillement de pierres de taille.
Pour assurer la transparence entre étages les planchers sont équipés de dalles de verre 50 x 50 cm spécialement conçus par St Gobain.
Les travaux dureront deux ans de 1926 à 1928. Les tourelles du bâtiment Jourdain et la façade sur la rue supprimée sont détruites. 

L'actuel magasin  2

C'est donc la juxtaposition de l'oeuvre de Jourdain et celle de Sauvage

  • Du coté Seine on a le bâtiment Sauvage avec une façade Nord "provisoire" 
  • Au centre le bâtiment Jourdain avec son hall 
  • Au Nord, jusqu'à la rue Baillet, un fouillis d'anciens  immeubles d'habitations "adaptés" par Jourdain à une destination commerciale 

Ernest Cognacq meurt en 1928 à 88 ans et c'est son neveu Gabriel qui reprend l'entreprise.
La préfecture avait prié en 1926 " d'éviter tout revêtement polychrome" , cette directive sera appliquée à la lettre dans les années 30 car le bâtiment Jourdain est jugé démodé. On peindra les plaques de lave émaillées du bâtiment Jourdain en supprimant les décors de fer forgé.
On créera  entre 1957 et 2000   une passerelle de 3 étages (1 er étage 2000, 2ème 1957, 3 ème 1960) joignant le magasin 4

Le magasin 3

Vers 1970 rue de Rivoli.
Au premier plan le magasin 4, puis la façade Jourdain du magasin 1 et la façade Sauvage du magasin 3 
Pendant les travaux la vente continue dans le magasin 3 !
C'est l'actuel magasin H&M . C''est aussi l'oeuvre de Sauvage en 1930: 5500m², 10 niveaux élevés en 6 mois.
Le permis de construire ne parlait que d'une "surrélévation". En fait ce fut une reconstruction totale avec maintien de l'activité de vente sur deux niveaux. Sauvage adoptera les mêmes procédés pour les magasins Decré de Nantes.   

Le magasin 4


Les différentes phases de transformation du magasin 4
Reprise en sous oeuvre
Régularisation des planchers et création de la verrière sur cour
le magasin 4 vers 1960 et tel que prévu aujourd'hui
En 1932 l’îlot entre la rue Baillet et la rue de Rivoli,. principalement occupé par le fourreur Revillon, est presque complètement acquis à l'exception de la partie Ouest sur la rue de l'Arbre Sec formée d'immeubles du XVIII ème siècle.
Sauvage prévoit de démolir l'lot et de reconstruire. Comme d'habitude pour les nouveaux immeubles de la Samaritaine, ceux ci sont d'abord repris en sous oeuvre et leurs planchers sont uniformisés mais l'opération s’arrêtera là.

La fermeture 

Coupe des poteaux protégés de l'immeuble Sauvage avec passage de la descente de gouttière et des fluides 
En 1998 le magasin 3 est  loué à Etam
En 2001 LVMH entre au capital de la Samaritaine et devient majoritaire à 55% devant l'actionnaire historique, la fondation Cognaq Jay.
En 2002 le magasin 1 est loué à Kenzo et Sephora ( 2 filiales de LVMH), à Zara et à des activités de  bureau.
En 2005 on s'aperçoit subitement que l'immeuble Sauvage du bord de Seine est impropre à recevoir du public. Sa hauteur le classe IGH ( immeuble de grande hauteur)  et toute une série de contraintes auraient du lui être appliquées  depuis l’arrêté ... d'octobre 1982 (1)
Notons qu'en France la réglementation des IGH se complexifie chaque année avec des différences suivant le type d'occupation.
Ceci va permettre d'affirmer que l'immeuble Sauvage est comme par hasard compatible avec ... un hôtel de luxe à condition que l'activité de celui ci se concentre en deçà des 28 m de hauteur à partir desquels la réglementation IGH s'applique.
En 2005 la Samaritaine ferme ses 80 000 m² et licencie ses 700  employés  et  indirectement de 1000 à 1500 personnes travaillant sur les stands ou sous-traitants

1) les premières remarques de sécurité dataient de 1975. La direction annonce en 2005 la fermeture "par principe de précaution" pour 6 ans de travaux de mise aux normes. Les rapports   considéraient que les points suivants étaient critiques: 
"manque de stabilité au feu de la structure métallique et des planchers de verre dans les niveaux de superstructure des bâtiments Sauvage et Jourdain.Verrière recouverts pour partie de revêtements en parquet plastique et autres matériaux inflammables, entraînant par ailleurs la dégradation des dalles de verre sur lesquelles elles s’étendent
Non respect des conditions d'accessibilité des secours extérieurs sur les différents niveaux."
 . La mise aux normes par tranches était parfaitement possible, les syndicats accusèrent LVMH d'avoir "orchestrer la fermeture" mais le plan social fut "généreux"
L'immeuble Jourdain, moins haut mais  dont les poteaux métalliques ne sont pas protégés (au contraire de ceux de l'immeuble Sauvage) ne pose aujourd'hui curieusement aucun problème pour une utilisation commerciale. 

Le nouveau projet

coupe samaritaine
Coupe Sud Nord
Le hall Jourdain (3) puis les deux nouvelles cours (1,2).
La circulation publique est maintenue sauf .. vers la Seine
Si le parking prévu est ridicule, on peut parier que l'on empiétera sur le quai du Louvre pour réserver un stationnement aux voitures des clients de  l’hôtel.

façade Seine.
Le lobby de l’hôtel  empêche d'aller de la rue de Rivoli à la Seine.
Afin de s'adapter à la réglementation les 9eme et 10eme étage sont devenus "techniques".
La façade ondulée en verre  sur la rue de Rivoli
Le hall rénové tel que l'on nous le promet
Lorsque j'ai commencé cet article j'étais très hostile au projet. Après l'avoir étudié, force m'est de reconnaître que les architectes ont fait "au mieux" compte tenu de ce que voulait le maître d'ouvrage et la ville.
Le périmètre de l'opération est celui des magasins 2 et 4 augmenté des immeubles de la rue de l'Arbre Sec qui n'avaient pas été inclus au magasin 4.

Le descriptif officiel parle  d'un projet  "d'un montant de 460 millions d'euros, le chantier devant s'étaler  sur vingt-sept mois. Un hôtel de luxe de 72 chambres, un restaurant avec terrasse, 20.000 m2 de bureaux, 96 logements sociaux, 26.400 m2 de commerces, une crèche de 60 berceaux et 2000 emplois"

Il me semble qu'il y avait deux types d'exigences, les unes  venant de la municipalité et celles du maître d'ouvrage Louis Vuitton.
Du coté de la municipalité il n'y avait aucune exigence de maintien d'un grand magasin, d'esthétique ou  de densité (1) mais des contraintes "d'affichage":  il fallait obligatoirement du logement social comme alibi et des parkings réduits au minimum suivant le credo écologique.
Plus "sérieusement" du coté de Vuitton il fallait un hôtel et des commerces de luxe.

Les architectes ont eu la bonne idée de maintenir une continuité entre la Seine et la rue de Rivoli en passant par 3 cours: le hall Jourdain restaurée, une nouvelle cour centrale et une cour  Rivoli restructurée.
Malheureusement l'accès vers la Seine sera interdit au public puisque ce sera  le "lobby" de l' hôtel de luxe. On devra se contenter d'une "transparence" et sortir rue de la monnaie.(2).
Devant tous les hôtels de luxe il y a des (grosses) voitures garées, vu la position du lobby  la situation du quai du Louvre risque d'être catastrophique ( d'autant plus qu'il n'y a pas de parking dans le projet)
Les logements sociaux et une crèche sont logiquement situés dans les immeubles de la rue de l'arbre sec qui n'appartenaient pas au magasin
Certaines dispositions de fonctionnement paraissent ridicules ou irréalistes.
Pour faire plaisir à la municipalité " les livraisons seront assurées par des camions de petits gabarits à motorisation hybride qui circuleront en mode électrique à l'approche de la Samaritaine" et le parc de stationnement  de l’ensemble est de... 47 places. (ce qui me semble aussi fantaisiste que de dire  que les clients de l'hôtel de luxe arriveront à vélo quai du Louvre).
L'accès à la terrasse du 10ème étage sera limité " à des groupes de 10 personnes accompagnés de 2 agents de sécurité"

Le point le plus contesté est la destruction des 4 immeubles de la rue de Rivoli. pour construire un nouvel immeuble à façade de verre sur la rue de Rivoli
Il faut bien reconnaître que cette portion de la rue de Rivoli n'a pas d' homogénéité architecturale  car des immeubles second Empire ont été remplacés par des immeubles commerciaux  (les deux immeubles Jourdain et Sauvage ex Samaritaine, l'immeuble C&A (ex Esders), l'immeuble Lissac) et qu'il est probable que les immeubles que l'on veut détruire, l'auraient été dans les années 30 si l'expansion de la Samaritaine  avait continué.
L'immeuble projeté sacrifie à une des modes actuelle des façades en verre mais propose une ondulation dont le rythme est celui des ouvertures des immeubles haussmanniens.

1) La mairie autorisera même la surélèvement de 6 m du bâtiment Rivoli.
2) LVMH prétend que "l'accès aux commerces par la rue de la Monnaie est plus pertinent" et que "l'accès Seine était emprunté par moins de 10% des clients". Le projet initial prévoyait la circulation jusqu'à la Seine et le lobby rue de la Monnaie.

Sites et Références


  • Les façades de Jourdain
    Construction rue de la Monnaie Façade rue de la monnaie Façade du magasin 1 rue de Rivoli
  • Le projet SANAA
Côte à côte le projet de Sauvage pour la rue de Rivoli en 1935 et la maquette du projet actuel.


On va parcourir la maquette du projet actuel de la rue de Rivoli à la Seine ( de gauche à droite)
Après la nouvelle façade on traversera la cour Rivoli, on franchira à l'air libre ou en sous-sol la rue Baillet, puis on traversera la cour centrale et le Hall Jourdain. Nous serons obligé d'obliquer vers la rue de la Monnaie et de nous contenter de la "transparence" sur le lobby de l’hôtel occupant l'immeuble Sauvage pour voir la Seine.
Façade Rivoli
Entrée rue de Rivoli
Cour Rivoli avec quelques plantations et un niveau de sous-sol.
Cour  centrale (nommée Baillet  ou Plateau) sur 3 niveaux  dont un en sous-sol
Le hall Jourdain rénové
La "transparence" entre le lobby et la surface commerciale qui seule permettra une vue sur la Seine depuis les commerces dont la sortie est rue de la Monnaie
Le magasin est maintenant ouvert en 2021 et s'affirme comme "un temple du luxe".

C'est donc la résurrection de la "Samaritaine de luxe" qu'Ernest Cognacq avait ouvert en 1917 près de l'Opéra plutôt que celle d'un magasin "où on trouve tout". La Samaritaine de luxe se situait au 25-29 Bd des Capucines, l'immeuble principal avait été construit par Frantz Jourdain et un bâtiment abritait dans ses étages supérieurs le musée Cognacq-Jay. Elle a fermé en 1986, le musée a trouvé refuge dans un hôtel du Marais et des bureaux de la BNP ont pris possession de l'immeuble. Ils sont aujourd'hui à leur tour chassés, remplacés par un hôtel de luxe.

Il faut noter que la mairie de Paris souhaite plus ou moins piétonniser le centre de Paris. Ceci me semblerait porter un coup mortel à tous les commerces de luxe concernés (hotels, antiquaires, joaillers, haute couture,..). Les "riches"  ne se sont pas convertis au vélo électrique ou au métro: il leur faut une (grosse) voiture.

Le feuilleton de la fermeture 

  • 1998 Bâtiment 3 loué à Etam
  • 2001 LVMH prend 59,4% du capital, la fondation Cognacq-Jay conserve 40,6%
  • 2002 Installation de  Kenzo dans le bâtiment 1
  • 2004 fermeture des entrepôts de Marne la Vallée, transfert des stocks dans le magasin même.
  • Février 2005. Avis défavorable de la commission de sécurité de la PPP, la plupart des points notés  concernent les stocks nouvellement créés. Commande d'un rapport d'experts par la direction.
  • 16 juin 2005. Fermeture à titre conservatoire. 
  • 19 juillet 2005 fermeture totale pour 5 à 6 ans afin d’effectuer des travaux de mise en conformité évalués à 100 M€
  •  9 juin 2006. Présentation en CE du projet d'une nouvelle Samaritaine tournée vers "le cadre de vie"
  • 2008 Les représentants de la fondation démissionnent
  • 25 novembre 2010 LVMH acquiert les 40, 1% restants de la fondation Cognacq-Jay.
  • Juin 2010. Projet de la nouvelle Samaritaine avec hôtel de luxe à l'enseigne du Cheval Blanc pour 450 M€
  • Mai 2011. Aval de la mairie de Paris, présentation du projet  par l'équipe Sanaa. 
  • 18 décembre 2012. Obtention de 2 permis de construire.
  • 15 février 2013. Recours contre les permis 
  • 4 juillet 2013. Recours classés pour vice de forme 
  • 25 février 2014.  Jugement contre les recours cassés par le Conseil d'Etat
  • 11 avril 2014. Rejet de la demande d'annulation du permis de construire
  • 13 mai 2014. Annulation du permis de la façade de la rue de Rivoli
  •  16 octobre 2014. Sursis à exécution de l'annulation du permis de construire (donc le chantier reprend)
  • 19 juin 2015. Le Conseil d'Etat rejette définitivement les recours en annulation.
  • 23 juin  2021. Réouverture