La Cité de la Muette à Drancy

Une tour et les "peignes"
La cité de la Muette est surtout connue car elle servit de camp de transit pour la déportation des  juifs durant la dernière guerre. Elle était alors inachevée  bien que commencée en 1931.
Dans ces années 30 les architectes Beaudouin et Lods voulait en faire un exemple  de cité moderne ou les tours et les bâtiments bas seraient entourés de grands espaces libres.
Elle servit aussi de banc d'essai aux procédés de préfabrication qui furent différents pour les 3 tranches de ce premier "grand ensemble".

L'Office des Habitations à Bon Marché de la Seine achète en 1925 un vaste terrain agricole  près du triage de Drancy et de la D119 reliant le Bourget à Bobigny  ou passe  un tramway (qui sera bientôt remplacé par un autobus).

Le programme  de construction comprenait 1250  logements HBM "ordinaires" repartis dans des immeubles de 2 à 4 étages nommés "les peignes"  et 280 HBM "améliorés" situées dans 5 tours de 14 étages
Derrière les tours, au Nord, on construira ensuite les "redents" de 3 et 5 étages.
A gauche, à l'Ouest, de l'ensemble on prévoyait une place de 200 m de long qui serait le cœur de la cité avec église, école et commerces dans des bâtiments de 4 étages. C'est cette troisième  tranche, inachevée à la déclaration de guerre, qui servira de camp.
Plan original. La cour sera en U et non fermée.
A l'époque la plaie de la banlieue "ce sont les petites maisons en série des cités d'habitations à bon marché monotones et tristes" 
1935. La cour  et les redents ne sont pas encore réalisés.
"Effet saisissant d'un grand rythme architectural dans le désordre de la banlieue" écrit t'on alors.

La maquette définitive et le plan dans Art et décoration en 1936
Les architectes prennent grand soin de l'orientation des appartements.
Dans les tours il y a 4 appartements par étage mais au Nord on ne trouve que l'escalier et les cuisines.
Dans "les peignes" les appartements sont traversants orientés Est-Ouest.
Dans "les redents" ( ou redans) les appartements sont tous au Sud avec la circulation au Nord.

Les procédés de fabrication seront ceux de l'ingénieur Mopin qui expérimente dans la première tranche  la préfabrication sur profilés métalliques rivés avec parements de béton dont la face est recouverte de cailloux de marbre.
Le radier de l'usine de préfabrication devait ensuite servir de pièce d'eau !
Les ascenseurs doubles des tours avec commande unique sont des Edoux-Samain
Les "redents" sont eux aussi  à structure métallique mais en tôle soudée avec un accrochage des éléments béton par des profilés pliés. Seul le quart des bâtiments prévus  sera réalisé
La cour est elle en ossature de béton armé avec remplissage par des éléments préfabriqués de béton.

Structure métallique de la tour et des peignesLes redents
Détail de l'accrochage des panneaux préfabriqués des redentsLa cour, ossature béton armée et remplissage par panneaux préfabriqués

Les cloisons consistent en deux feuilles de  bois sur un noyau de béton cellulaire. Les plafonds sont constitués de plaques de fibre de bois (Insulite) jaune pale.  Jean Prouvé s'occupe de l’ensemble des portes et fenêtres métalliques.
Toutes les canalisations de la cité  sont regroupées dans une galerie souterraine de 2m x 3,50 m et devait aussi servir à l'évacuation des ordures  ménagères par un système sous vide.

Une cité loin de tout dont les équipements ne seront pas construits
Les tours sont les plus hautes de France: "des gratte-ciels français"
 A cause de la crise  le seul équipement construit est l'école. La cité est beaucoup décrite dans les revues d'architecture de l'époque comme exemple de réalisation "moderne" ou comme "cité jardin".
Les louanges ne furent pas unanimes car Maurice Rotival dans un article célèbre, "les grands ensembles", écrivait "c'est un îlot placé au milieu d'une plaine dans laquelle on ne sent aucun plan général reliant les nouvelles constructions à l'agglomération parisienne.. On cherche vainement les autostrades, les terrains de jeux, les réserves boisées"

L'isolation phonique et thermique est hélas très mauvaise et les Drancéens apprécient peu l'endroit aux loyers trop élevés et loin de la gare. L'Office cède le lieu au ministère de la Défense qui y logera  la 22 ème légion de gardes mobiles.

Le camp de Drancy dans la cour de la cité
A la déclaration de guerre la cour servira d'abord de camp  d'internement pour les  ressortissants allemands et  autrichiens, puis en 40  pour les  prisonniers de guerre ( français), puis de 41 à 44 de camp de transit  ou sont rassemblés juifs et communistes avant leur transfert vers les camps de la mort. Sur 76 000 juifs déportés, 65 000 passeront par Drancy. En 1945  c'est toujours un camp  mais cette fois ci pour les "collabos". Après 1946 la cour est rendu au logement social.
 Un wagon placé à l'entrée de la cour à coté d'un monument rappelle l'histoire. La cour contient aujourd'hui deux jardins pelés, les commerces sont fermés pour la plupart.

Les tours sont démolies en 1976 par le Ministère de la Défense et remplacées par  d'autres sans intérêt toujours occupées par des gendarmes.

En 1980 on découvre un tunnel creusé par les internés en 1943. En 2001 ce qui reste de la cité  (et le tunnel) sont classés monuments historiques en tant que "réalisation architecturale et urbanistique majeure du XXème siècle". Le mémorial de la Shoah est construit face à la cité  et ouvert en 2012

Sites et références

Cité Paul Bert. Dans les années 20 Drancy  avait connu des cités jardin très différentes. 
Publicité de 1934
Dans les années 50 à Drancy Lods  construira  la cité Gaston  Roulaud (ci-dessus), puis dans les années 60 la cité Paul Eluard 
  • La Cité de la Muette. Site du 93
  • La cité de la Muette. Atlas du patrimoine.
  • Fonds Lodz Cité de l'architecture 
  • Urbanisme n°16 Juillet 1933
  • L'architecte Octobre 1933
  • Travaux Octobre 1933
  • Habitations n°50 1935
  • Art et décoration Janvier 1936
  • L'architecture d'aujourd'hui . n°6 Rotival 1935 
  • Atlas du 93. Patrimoine béton
  • Avant la loi Loucheur de 1928 l'OPHBM de la Seine, présidé par Henri Sellier, construit quelques cités jardins formées de pavillons. C'est un habitat individuel peu dense de 20/30 logements par hectare. Après la loi qui donne la possibilité de prêt à faible intérêt la construction s'accélère, 200 000 logements à bon marché et 60 000 logements moyens sont construits en 5 ans mais les opérations concernent de l'habitat collectif avec des densités atteignant parfois les 100 logements par hectare dans la petite couronne. 
  • Le "système Mopin" consiste surtout en des éléments préfabriqués en béton vibré AUTOBLOC permettant un démoulage rapide avec éventuellement un  matériau LAP en aluminate de chaux. Le tout avait été initialement développé par Ch Séailles.
  • Beaudouin et Lods  construisirent avec des éléments "système Mopin" la cité du Champ des Oiseaux à Bagneux mais il s'agit d'immeubles de 4 étages comparables aux "peignes" (entreprise Ferrus et Elambert). Citons aussi une cité à Vitry rue Edouard Til.
  • En Angleterre il y a encore un immeuble construit  avec le "système Mopin" à Leeds (Quarry Hills)
  • De la même époque et en structure métallique il y a les tours de Villeurbanne par Maurice Leroux  ( remplissage de briques) et l'immeuble Bergpolder de Van Tijen à Rotterdam ( remplissage par éléments préfabriqués).
  • La cité fit l'objet d'un film Construire en 1934 par Benoit-Levy et servit de décor en 1939 à l'enfer des anges de Christian Jacques.