Malraux et Paris

Malraux posant devant Notre Dame ravalée.
Malraux soigna son image de grand homme ex aventurier. En tant que  ministre des affaires culturelles de 1958 à 1969 il dut s'occuper de Paris. Cette période est charnière pour la capitale car c'est l'apparition des "promoteurs" après un long sommeil de la construction à Paris. 
Malraux ne s'intéressait probablement que fort peu à Paris, il y laissera tout de même, le plafond de l'opéra de Chagall et les fossés de la colonnade du Louvre mais laissera détruire (comme ses successeurs) les hôtels particuliers du XIX ème siècle et une partie des quartiers populaires de l'Est Parisien. 

 L'époque. 

 Jusqu'en 1914 la construction alla bon train dans Paris. Durant la guerre les loyers ne furent plus payés, il y eut ensuite des règlements sur les loyers puis la crise en 30, 31 et encore la guerre. On crut améliorer la situation en promulguant la loi de 48 qui imposa des loyers bas. De 1914 aux années 50 l'immobilier est un mauvais placement à Paris, les immeubles se dégradent faute d'entretien, changent de mains au profit de grandes compagnies. Ce sont presque seulement  les HBM, construits surtout à la périphérie, qui renouvellent  le parc immobilier. Des opérations de rénovation dans les îlots insalubres sont entreprises avant la guerre mais recoivent à peine un début d'exécution. Après l'hiver 54 le logement revient sur le devant de la scène et une nouvelle race d'entrepreneurs apparaît: les promoteurs. Le 10 Juillet 1965 ce sera l'invention géniale de la copropriété.

Malraux 

Malraux en 1947 organisateur de la propagande du RPF
Un grand écrivain et  un mythomane ? 
Anticolonialiste en Indochine mais  emprisonné pour trafic d'antiquités. Du coté des républicains espagnols et commandant  (sans savoir piloter) d'une escadrille inutile de mercenaires. Falsificateur de son dossier militaire s'inventant des blessures...
Malraux s'attache à de Gaulle en 1945 , devient ministre de l'information puis chargé de la propagande du RPF. En 1958 le général le rappelle à l'information mais lui préfère ensuite Soustelle  et "pour lui trouver quelque chose" le nomme ministre des affaires culturelles. En 1962 il créé les maisons de la culture et prononce à l'étranger des discours étranges. 
En 1965 Malraux oscille entre mégalomanie et dépression mais retrouve des accents lyriques dans  l'oraison funèbre de Le Corbusier.
"Adieu mon vieux maître et mon vieil ami. Bonne nuit... Voici l'hommage des villes épiques, les fleurs funèbres de New York et de Brasília. Voici l'eau sacrée du Gange et la terre de l'acropole.."
A partir de 66 il rédige   ses volumineuses anti-mémoires ou la seule allusion à Paris est " j'ai connu les moineaux qui attendaient les chevaux des omnibus au Palais Royal". C'est peu !

Les fossés du Louvre et des Invalides 

La colonnade derrière des grilles
La colonnade et son fossé
Malraux est séduit par une idée de Jean Trouvelot: les cathédrales se dégagent naturellement par leur hauteur  des ruelles du moyen age mais les édifices classiques sont conçus pour émerger d'une perspective et doivent donc être isolés  par des fossés et non par des grilles qui les cachent. 
On appliquera cette idée à la colonnade de Perrault du Louvre et aux fossés des Invalides 

Jean Marie Trouvelot  était déjà l'architecte de la restauration des corps de bâtiment de le Vau à Vincennes endommagés durant la guerre; il  sera la personnalité la plus marquante de la direction de l'architecture de l'époque.

Au Louvre Perrault fut choisi de préférence au Bernin par Louis XIV pour réaliser la façade Est du Louvre. La colonnade restera jusqu'au XIX e siècle  inachevée et sans toit. Le projet initial prévoyait probablement un soubassement mais il   fut enterré et un jardin à la française avec de grilles créé. 
En 1963 Malraux voulut  que le projet des fossés fut réalisé et c'est Jean Lahalle, l'architecte en chef du palais, qui l'exécuta.. 
Si le gros oeuvre fut terminé ( avec l'aide du génie militaire par économie) on se contenta de gravillonner l'espace restant et les fossés. Rapidement les fossés devinrent le lieu ou cacher les baraques de chantier. Le lieu a aujourd'hui   un aspect inachevé, abandonné. 

Une opération similaire fut menée aux Invalides ou de tels fossés n'avaient jamais existé. On envisagea un temps d'élever une colonnade à la manière de St Pierre de Rome mais le projet était trop coûteux.

Reconnaissons que ces deux opérations, même si elle font hurler les puristes seraient assez réussies .. si elles étaient achevées.

Le grand Louvre avant le Grand Louvre 

Au cours du XX e siècle les projets concernant le Louvre n'ont pas manqué.(1)
Dans les années 60  Henry Bernard, à la demande de Malraux,  étudie un projet de palais du gouvernement à la place des Tuileries.
En 1966 Lahalle et Trouvelot présentent au ministre un projet qui redessine la cour carrée, créé des entrées souterraines à la place de l'actuelle pyramide ( en incluant déjà le ministère des finances), deux passages souterrains pour les voitures avec des parkings (l'un au niveau des guichets et l'autre devant les pavillons de Marsan et de Flore), reconstitue les jardins de Lenotre..
Ce projet avait pour avantage sur la réalisation actuelle la suppression totale de la circulation automobile entre Saint Germain l'Auxerrois et la Concorde  et une plus grande "discrétion" cour Napoléon.

1) Dès 1936 André Ventre et Paul Flandrin proposaient des solutions souterraines pour les accès du musée,. 

Le ravalement de Paris 


La colonnade fraîchement ravalée mais avec des grilles
Malraux n'est pour rien dans cette opération mais il se fera  photographier devant les monuments nettoyés en sous-entendant qu'il a tout fait.
En 1959 le préfet Benedetti décide de remettre en vigueur l'obligation de ravalement tous les dix ans qui datait d'Haussmann. Le très faible rendement des immeubles parisiens pour leurs propriétaires expliquait que cette prescription avait été "oubliée". Deux arrondissements doivent être traités chaque année.
Cette obligation s'applique aux monuments historiques mais la direction de l'architecture du ministère des affaires culturelles  refuse  de s'y plier. Malraux tergiverse arguant des faibles crédits du ministère et de la fragilité des monuments mais tout à coup change d'opinion et insinue que c'est son ministère qui est à l'origine du projet. Il va donner la publicité la plus grande possible au ravalement du Louvre, du Panthéon ( juste à temps pour le transfert des cendres de Jean Moulin), des Invalides, de notre Dame ( pour le huitième centenaire).

Le plafond de l'opéra 

En 1953 un précédent ministre s'était taillé une belle publicité en commandant à Georges Braque des plafonds pour le Louvre ( cette histoire est comptée dans un autre article).
Malraux va rééditer l'exploit en commandant en 1960 un plafond à Chagall qui le réalisera gracieusement.
Le 23 septembre 1964 Malraux, Pompidou et Georges Auric peuvent écouter Daphnis et Chloé de Ravel en levant les yeux vers un plafond tout neuf.
Malgré quelques esprits chagrins qui estiment qu'une telle oeuvre n'a pas sa place dans l'opéra Garnier la majorité des critiques s'extasient sur ce triomphe de la couleur découpé en cinq parties: le bleu pour Moussorgski et Mozart, le vert pour Wagner et Berlioz, le blanc pour Rameau et Debussy, le rouge pour Ravel et Stravinski et enfin le jaune pour Tchaïkovski et Adam ( l'auteur de Gisèle).
Les motivations du ministre sont obscures mais en tout cas ce "geste" remettra l'opéra à la mode.
Aujourd'hui je ne peux m’empêcher de regretter le plafond original de Lepneveu "le triomphe de la Beauté charmée par la Musique..." caché par celui de Chagall mais pas détruit ( ce plafond est décrit dans un autre article)

Les statues de Maillol au Louvre

Il est étonnant aujourd'hui de constater que l'introduction de quelques statues aux Tuileries ait pu être un événement aussi commenté. 
Le geste n'avait pas coûté très cher car c'est Dina Vierny, muse du sculpteur, qui offrit en 1964 18 sculptures à l'état que Malraux fera placer aux Tuileries.  
Le terrain avait été préparé car en  1954 on avait supprimé les squares de la cour Napoléon et enlevé les statues afin de dégager les façades du Louvre (le monument à Gambetta, chef d'oeuvre du Kitsch  dont les ornements de bronze avaient  déjà été retiré sous l'occupation, avait péri dans l'opération).  

Inscription des quais et des quartiers centraux au patrimoine

Les secteurs sauvegardés actuels du Marais et du VII ème arrondissement hors PLU
La loi Malraux de 1962 est certainement le dispositif qui a permis de sauvegarder beaucoup de quartiers anciens
" Si nous laissions détruire ces vieux quais de la Seine semblables à des lithographies romantiques, il semblerait que nous chassions de Paris le génie de Daumier et l’ombre de Baudelaire .... sauvegarder un quartier ancien, c’est donc à la fois en préserver l’extérieur et en moderniser l’intérieur ... Le siècle des machines est le premier qui ait retrouvé tout le passé des hommes. Dans notre civilisation, l’avenir ne s’oppose pas au passé, il le ressuscite. » déclare t'il lors de la présentation du projet de loi.

Pour Paris la loi se traduira par l'inscription des quais de la Seine et des quartiers centraux de Paris" .
C'est chose " faite et vous savez comme moi que sauver les quais de la Seine, ce n'était vraiment pas rien." déclare Malraux devant l'Assemblée Nationale en 1964.
Cette mesure va dissuader les promoteurs de s'attaquer au cœur de Paris et permettra la rénovation du Marais dont les hôtels étaient alors envahis par les boutiques et les ateliers.
Le Marais et une grande partie du VIIème arrondissement sont aujourd'hui les seuls "secteurs sauvegardés" et il faut craindre la "révision" actuelle.

Le Grand Palais

Le futur espace d'accueil de l'avenue de Selves.
L'architecte du Grand Palais est Pierre Vivien qui déclare que "ces locaux n'avaient pas d'architecture" et coupe en deux la hauteur des salles d’exposition.
Le conservateur du Grand Palais, Reynold Arnould, voulait rénover les espaces d'exposition au Nord-Est du Grand Palais en détruisant totalement la disposition intérieure tout en rognant un peu sur le Palais de la découverte.  Dès 1959 le ministre fut sensible à son projet et il inaugura en  1964 les "Galeries nationales du Grand Palais"  . A l'époque le résultat fut loué mais on est plus critique aujourd'hui et on doit "réaménager" à nouveau  (je pense qu'il en sera de même dans quelques temps du massacre de l'intérieur du musée d'Art moderne de l'avenue Wilson).

Le Corbusier vieillissant  était l'ami de Malraux (comme il fut l'ami de tous les puissants). Le ministre lui commanda un projet de musée du XXe siècle qu'il voulait voir élever à la Défense mais que l'architecte voulait à la place du Grand Palais. Le Corbusier mourut et le projet fut oublié.

La création des Galeries et le départ des grandes  expositions vers le CNIT entraîna l'abandon de la nef. Le Grand Palais,  comme la gare d'Orsay, sont alors menacés, et ne devront probablement leur salut qu'à l'émotion provoquée par la destruction des Halles Baltard.

Les hôtels particuliers du XIXème siècle

Le Palais Rose 
L'escalier du Palais Rose inspiré de celui des Ambassadeurs
Hotel d'Arenberg
Hotel Kessler 
Dans ce domaine  l'inaction du ministre  fut très dommageable.
La nouvelle race de promoteurs s'attaquent principalement aux quartiers riches, la demande de permis de construire explose dans le XVIème arrondissement, elle est même supérieure à celle de tous les autres arrondissements de Paris.
Les victimes sont bien sur les parcelles "sous-occupées" et le ministère des affaires culturelles  est complètement indifférent au massacre. On en est encore à mettre en réserve ( quand on ne les vend pas) toutes les œuvres des peintres pompiers, toute la production artistique officielle de la seconde moitié du XIX éme siècle est jugée sans intérêt.
Les hôtels qui n'auront pas la chance d'être utilisés comme ambassade ou par une forte institution seront détruits  dans l’indifférence totale du ministre.
La liste des destructions est impressionnante.
  • Le Palais Rose oeuvre majeure de l'architecte Sanson est jugé jugé sans "intérêt archéologique" par le ministre et détruit en 1962.
    Un autre article est consacré à cet hôtel  Issu de la rencontre d'un noble désargenté - Boni de Castellane-  et d'une héritière américaine - Anna Gould-, il était inspiré  de Trianon et contenant une copie de l'escalier des ambassadeurs. 
  • L’hôtel d'Arenberg, également construit par Sanson rue de la Ville L'Evèque, était inspiré des hôtels Louis XV et contenait d'ailleurs des boiseries de cette époque provenant de l’hôtel Nourissart à Limoges, il fut détruit dans les années 60
  • L’hôtel Kessler, avenue Raphaël, lui aussi de Sanson, lui aussi inspiré des hotels du XVIIIème siècle s'ouvrait sur un jardin à la française 
  • L’hôtel Lebaudy, rue François 1er, toujours oeuvre de Sanson était bâti sur un terrain triangulaire. L'architecte avait déployé beaucoup d'astuce pour éclairer toutes les pièces. Il contenait des boiseries de l’hôtel de Chevreuse qui se trouve aujourd'hui au Louvre dans la salle des objets d'art Lebaudy ( fermée depuis 3, 4 ans). L'hôtel fut détruit en 1962.
  • L’hôtel Porgès, avenue Montaigne, oeuvre de Sanson rappelant le château d'Asnières élevé par le marquis d'Argenson au XVII ème . Les allemands construisirent un blockhaus dans le jardin durant l'occupation puis l'hôtel fut rasé dans les années 60
  • L'hôtel Doucet rue Spontini construit par Blanche dans un style Louis XVI. Doucet était un couturier célèbre et l’hôtel fut conçu pour présenter ses collections qui seront dispersées en 1912. L’hôtel fut rasé en 1960.
    Hôtel Porgès 

Montparnasse

Projet de RER en 1948.
La gare Montparnasse est "logiquement" reliée au réseau.
Au moment de la reconstruction de la gare, la SNCF ne soutint pas l'idée qui aurait "profité" à la RATP. La gare devint au fil des projets un élément "secondaire" de l'opération Maine-Montparnasse
Malraux a joué un rôle décisif dans la construction d'un " moderne campanile",  ainsi qu'il appelait la future tour Montparnasse.
Obnubilé par l'idée de cette tour on ne pense même pas à construire une gare souterraine qui traînait cependant dans les projets de "RER" d'avant guerre.
La maquette de la tour associée à un "quartier d'affaires" est présenté à un ministre enthousiaste en 1959 et la tour sera terminée en 1973.
On  construira aussi  la tour Zamansky (du nom du doyen  de la faculté des sciences de Jussieu haï par les étudiants de Mai 68), la maison de la radio et de la télévision et on entreprendra la Défense.
Malraux est favorable au modernisme et  attiré par le gigantisme  de ces "grands travaux".
Il défendra, sans pouvoir la réaliser, l'idée  d'un musée du XXème siècle à la Défense qu'aurait construit Le Corbusier. 

Les Halles 

Dans les années 60 on pense concrétiser le vieux projet de déménagement des Halles et les architectes voient grands. Là aussi on veut construire un "quartier d'affaires" mais le  projet Lopez et Rotival qui rasait 450 hectares effrayait tout de même un peu. On fit un concours, chacun s'en mêla ... sauf le ministre des affaires culturelles.
L'affaire traîna, les Halles ne furent transférées à Rungis qu'en 1969  et les pavillons Baltard furent détruits à partir de 1971.
L'histoire de cette rénovation est racontée dans un autre article
Le seul ministre de la culture qui s'intéressa aux Halles fut le bouillant Jack Lang et heureusement il arrivait trop tard pour ajouter des bâtiments à ce qui était décidé.

Belleville

L'ilot n°7.
De gauche à droite en vertical:  les rues de l'Atlas,  Belleville, Ramponneau, ... , Couronnes, .., Ménilmontant.
Sous Malraux, seul le secteur de la rue de Couronnes sera touché, la rénovation s'étendra ensuite. 
L'habitat de Belleville datait pour l'essentiel de la seconde moitié du XIXème siècle. Les immeubles était le plus souvent de mauvaise qualité  et n'avaient reçu aucun entretien du fait de loyers trop faibles.
La ville de Paris démarra en 1952 la réduction des îlots insalubres qui étaient identifiés depuis 1909.
Le bâti à l'Est de la rue des  Couronnes (dans l’îlot  7) sera rénové alors que Malraux est ministre. On remplace des immeubles de 3 à 5 étages avec des ateliers, des impasses, des cours, des jardinets par des barres de 10 à 15 étages sans aucun respect  de l'ancien parcellaire.
Malraux ne voyait aucun intérêt à la préservation de ce qu'haïssait son grand ami Le Corbusier; ses successeurs ne feront pas mieux.
Il faudra attendre les années 90, après les tours de la Place de Fêtes,  pour que certains  s'inquiètent de la destruction d'un quartier attachant. 

En guise de conclusion

Malraux invente, malgré lui,  le modèle du ministre de la culture "communicant", perfectionné par Jacques Duhamel et magnifié par Jack Lang.
Après lui  les ministres n'aimeront  que l’événement, ne vivront que de coups médiatiques, seront "à la mode",  alors que justement ils devraient protéger ce qui est passé de mode, reconnaître des valeurs méconnues.  
Malraux avait tout de même des idées - à lui ou empruntées à d'autres- et une vision de la culture populaire.
Paris l'intéressait peu,  il protégea  le vieux Paris de l'enceinte des fermiers généraux tout en laissant détruire les hôtels du XIXe siècle et les quartiers populaires de L'Est Parisien

Les maisons de la culture et la  loi Malraux sur le patrimoine historique  sont des actions qui placent Malraux bien au dessus de ses successeurs. 

Sites et références